Comment je n’ai pas aidé ma prochaine

Publié le 14 Mars 2024

En novembre 2023, je suis tombée sur un article qui parlait d’une sage-femme parisienne qui aidait les mères et futures mères sans abri. Cet article racontait que les femmes prioritaires à l’hébergement étaient celles à huit mois de grossesse et celles qui avaient un bébé jusqu’à trois mois. Ainsi des jeunes mères dormaient dans la rue avec leur nourrisson faute de place.

Mon sang n’a fait qu’un tour. Sachant le besoin de calme et de sécurité des femmes enceintes et les jeunes mères, et ayant du mal à croire que des bébés de trois mois puissent survivre à un hiver dans la rue, j’ai tout de suite imaginé la possibilité de faire une place dans ma maison, au moins le temps d’un hiver, à l’une d’entre elles.

J’ai essayé de contacter cette extraordinaire sage-femme. Les informations professionnelles rattachées à son nom étaient désuètes et après avoir eu la mairie de Paris et plusieurs PMI au téléphone, je n’ai jamais pu échanger avec elle. En revanche on m’a conseillé de contacter Utopia56.

J’appelai aussitôt sur le numéro de téléphone qu’on m’avait donné, tombai sur le répondeur et laissai un message pour proposer de loger et nourrir une femme avec un ou deux enfants en bas-âge, sans contrepartie, dans notre maison en campagne picarde. Plusieurs jours (et nuits d’insomnie en pensant à ces personnes dans le froid) passèrent sans que j’obtienne de retour.

Pendant ce temps, je parlai du projet à Baba Papa, beaucoup moins chaud que moi. « Attends, on retrouve tout juste un équilibre, de la sérénité dans notre famille. Tu ne te rends pas compte de ce que ça va être de partager sa maison avec quelqu’un qu’on ne connaît pas. » « Mais Jo, il s’agit d’une femme à la rue avec un tout petit bébé ! Il fait 2°C ce soir ! Tu imagines un bébé dormir dehors par 2°C ?! ».

En explorant le site internet d’Utopia56, association dédiée à l’hébergement des sans abri, j’étais ravie de constater que ce réseau semblait très bien organisé. Loger quelqu’un me semblait tout à coup facile, et je me dis que peut-être que le numéro qu’on m’avait donné n’était pas le bon. Je laissais donc un message via le formulaire de contact du site internet, puis un sur leur page facebook.

Début décembre, à l’occasion d’une fête de famille, j’échangeais avec l’une de mes tantes qui avait été directrice d’école maternelle dans une grande ville, et dont l’époux fait des maraudes et des distributions de repas à Rouen avec une association. Elle m’expliqua : « Là, à l’heure actuelle, aucun sans abri n’a faim à Rouen. Il y a plusieurs associations qui font des maraudes tous les jours pour tous les trouver et leur distribuer à manger. Et ils sont beaucoup mieux par grand froid avec le plan d’hébergement d’urgence que lorsqu’il fait 10°C et qu’il pleut des cordes.

Quand j’étais directrice d’école, j’ai rencontré à plusieurs occasions des mères qui étaient dans une situation très précaire. L’une d’elle dormait dans un garage la nuit et amenait ses enfants à l’école le matin. J’avais voulu les héberger mais vivant dans un logement de fonction je devais avant demander l’accord du maire. Celui-ci m’a dit qu’il ne serait pas une bonne idée d’héberger des personnes sans cadre et qu’il valait mieux intégrer une assistante sociale dans la procédure.

Il faut aussi faire attention à la différence culturelle qui peut générer d’énormes difficultés. Une fois, une mère africaine était venue inscrire son enfant de 4 ans le matin. Je lui demandai ‘’C’est vous qui le déposerez tous les matins ? C’est vous qui viendrez le chercher à 16h ?’’, elle m’avait répondu oui. À 16h elle n’est pas venue chercher son enfant. Elle n’est arrivée qu’à 19h, sans avoir l’air gêné en m’expliquant qu’elle était allée voir sa sœur à Paris. ‘’Mais madame, vous vous rendez compte que votre petit bonhomme, c’était sa première journée d’école, avec des inconnus ? À 16h il a vu les autres enfants partir avec leurs parents. Il est resté 3h avec moi tout seul alors qu’il ne me connaît pas, sans savoir quand vous viendriez le chercher. Et moi j’avais un rendez-vous médical ce soir, et je n’ai pu y aller.’’ »

Cet échange avec ma tante m’avait un peu fait redescendre de mon petit nuage ; jusque-là je n’avais imaginé qu’un scénario idéaliste où la personne que nous accueillerons serait très discrète et deviendrait rapidement une véritable amie.

À nouveau, plusieurs semaines passèrent sans réponse d’Utopia56. Je pensai : peut-être manquaient-ils de bénévoles pour traiter les messages et qu’en cette période, les membres d’Utopia56 étaient trop occupés sur le terrain ? Ou peut-être que nous étions trop loin des grandes villes où l’association officie et qu’ils n’avaient pas les moyens de venir visiter notre maison pour voir si cela convenait ? Tout cela restera un mystère, car à ce jour où j’écris, en mars 2024, je n’ai toujours pas eu de retour. 

En décembre nous lancions des travaux pour faire une chambre supplémentaire et nous nous retrouvâmes en même temps sans aide-ménagère. Il fallait aussi penser à la saison d’apiculture qui démarrerait dans quelques mois et trouver une personne pour garder les enfants de temps à autre. En voyant passer des post sur les filles au pair, ceci me parut être la solution idéale. Baba Papa était beaucoup plus enclin à héberger une jeune femme étrangère sans enfant (allez savoir pourquoi…). Pour moi demeurait une grande ambivalence. Comment faire si on nous demandait d’héberger quelqu’un et que la chambre était déjà prise par une au pair ? Je nous imaginais Baba Papa et moi dormant dans le clic-clac du salon et la maison remplie de monde. Je le voyais mal supporter ça, il a toujours eu besoin de plus de confort que moi. Et par ailleurs il était hors de question pour moi de demander à une femme enceinte presque à terme ou à une maman avec un nourrisson de faire du ménage et de s’occuper de nos deux enfants. Donc il nous fallait bien quelqu’un pour cela dans quelques mois.

En janvier 2024 j’entamai les démarches pour accueillir une au pair. Cela me prit plus d’un mois pour trier les nombreuses candidatures, et prendre connaissance des devoirs, des droits, des démarches, etc. Parallèlement je me renseignai sur d’autres associations, cette fois à Amiens, qui viennent en soutien à des jeunes femmes ou jeunes mères précaires. Je fus mise en contact avec les référents de ces association et j’échangeai avec un à plusieurs reprises. Je lui expliquai que nous avions pris connaissance que des enfants dormaient à la rue, que nous avions toujours eu une bonne étoile et que nous souhaitions la partager avec d’autres, je le ressentais (et le ressens toujours) comme un devoir. Que nous pouvions faire un peu de place chez nous et nourrir des bouches supplémentaires. Que nous privilégions une femme avec de jeunes enfants, ou que nous pouvions accueillir une jeune et la rémunérer en hébergement et en argent pour du travail de ménage et de garde d’enfants pendant au moins 6 mois. Je m’attendais à ce que notre offre trouve très rapidement preneuse. Il n’en fut rien. Les jeunes sans abri suivaient des formations, des cours à l’université et être logé à 1h de route de la grande ville ne les arrangeait pas du tout. Il y avait tout de même une femme, avec sa nièce de 10 ans, qui étaient hébergées par le plan d’urgence mais plus pour longtemps et risquaient de se retrouver dehors rapidement. Mais la femme a préféré dormir à la rue pour rester à Amiens où la petite était scolarisée et avait un suivi médical. À la fois je comprenais cet attachement à la ville et cette peur de vivre plusieurs mois avec des inconnus. Et à la fois cela me rendait très triste. Se rendait-elle compte du confort et de la sécurité qu’elles gagneraient chez nous ?

Après avoir choisi notre au pair, une chouette colombienne, nous nous sommes rendu compte qu’il était impossible de lui faire obtenir son visa car la loi française interdisait aux au pair de garder des enfants de moins de trois ans. Projet reporté à l’année suivante.

J’ai fini par retrouver difficilement une aide-ménagère, et deux nounous qui se complètent en horaires.

Pourquoi tout ce périple ? Pourquoi n’ai-je pas tout simplement voulu donner de l’argent aux associations ? Il aurait été facile de calculer combien nous aurait coûté une bouche à nourrir pendant tant de mois, et reverser la somme. Mais je voulais un retour. Ou plutôt un partage. Une belle expérience humaine pour les personnes accueillies et pour chacun des membres de notre famille. Nous préparer à ce demain qui est déjà là. Se préparer à ce que la fraternité/sororité prenne le pas sur la méfiance et la maltraitance quand il commencera à y avoir peu de km² habitables par humain sur notre belle planète.

Notre porte et notre cœur restent ouverts. Ce n’était pas encore le bon moment, voilà tout.

Nous y aurons gagné des connaissances, et un regard plus juste sur le monde.

Publié dans #Journal intime

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