La naissance à la maison de Lulu - Partie 2/4

Publié le 12 Mai 2022

Récit de la première partie ici.

 

J'aurai mis du temps à publier cette deuxième partie. Presque un an et demi. J'ai repoussé la traversée des souvenirs de cette fin de grossesse qui a été du grand nimporte quoi. Je vous souhaite une belle lecture, et pour le récit du jour de la naissance de Lulu, soyez patient·e·s !

 

Août 2019 (M-3)

J'annonce la mauvaise nouvelle à Baba Papa : Sarah Dallongeville, sage-femme libérale qui pratique l'accouchement assisté à domicile, vient de nous laisser tomber par téléphone, à trois mois du terme, et alors que nous avions un rendez-vous de suivi de grossesse quelques jours plus tard. Baba Papa pense qu'il y a encore moyen de faire changer Sarah d'avis. Moi j'ai vraiment le sentiment que c'est fini, et que Sarah avait surtout besoin d'une excuse pour annuler notre contrat. Lorsqu'elle avait accepté de nous suivre, j'étais sa seule "patiente" pour un terme en novembre, mais peut-être que cela a changé et que ça ne l'arrange pas d'avoir une astreinte pour quelqu'un à deux heures de chez elle.

Sarah m’a dit de consulter un gynécologue pour avoir un avis. Mais je ne comprends pas bien ce qu'un gynécologue dira de plus, et encore faudrait-il que j'en trouve un ouvert à la naissance à la maison. Pour moi, c’est l’endocrinologue qui peut justifier que mon hyperthyroïdie m'empêche d'accoucher à domicile. Je téléphone donc l'après-midi même au docteur Dinomais de l'hôpital d'Abbeville, l’endocrinologue qui fait mon suivi depuis le début de la grossesse, et je tombe sur le secrétariat qui lui transmet mes questions :

- En quoi un suivi gynécologique supplémentaire est-il nécessaire dans la mesure où j’ai déjà fait les échographies trimestrielles + une échographie de ma thyroïde il y a 2 mois (qui n’a pas bougé depuis la dernière en 2016) + une échographie entre le premier et le deuxième trimestre pour contrôler la thyroïde du bébé (pour l’instant, aucun signe d’un dérèglement thyroïdien, échographie du troisième trimestre le 16 septembre) ? Qu’est-ce que cela va apporter de plus ?


- Quels sont les risques engendrés par la maladie de Basedow lors de l’accouchement ? Pourquoi cela implique-t-il un accouchement en milieu médical ? On m'a exposé les risques liés à la grossesse (dérèglement thyroïdien du bébé) mais on ne m'avait jamais parlé de risques pour l'accouchement.

Dix minutes plus tard la secrétaire me rappelle. Elle a pu voir l’endocrinologue entre deux rendez-vous. Tout ce que j’obtiens comme réponse c’est " Madame Dinomais est défavorable à l’accouchement à domicile ", et quand je demande : " Pourquoi ? quels sont les risques ? ", la secrétaire me dit seulement que " dans le cadre de la maladie de Basedow ce n’est pas possible, madame Dinomais ne veut pas ". Voyant que je n’aurai pas plus d’informations par téléphone, je demande un rendez-vous avec le docteur Dinomais pour qu’elle prenne le temps de tout m’expliquer, et la secrétaire me répond qu’elle n’a pas l’agenda de l’endocrinologue sous les yeux mais que de toute façon ce ne serait pas possible avant mon accouchement, qu’il faut que je voie avec la sage-femme de l'hôpital lors de l’échographie du troisième trimestre pour qu’elle m’explique, si elle en est capable, et qu’elle me donne son ressenti. Fin de la conversation…

L’endocrinologue avait toujours été très disponible, à faire un suivi régulier de mes analyses pour adapter mon traitement et d’un coup, après avoir prononcé « accouchement à domicile », elle n’est plus accessible. Je demande à un ami, en fin d'internat de neurologie dans un CHU, s'il a des contacts avec un ou des endocrinologues plus ouverts d'esprit et plus prompts à me donner une véritable information, ou s'il existe un genre de forum en ligne de médecins qui se tiennent au courant des recherches et débattent de ce genre de questions, mais voici sa réponse : " Je pense que ta question est trop spécifique pour que tu puisses trouver la réponse sur internet. Ta situation reste atypique et en l'absence de recommandations claires les gens ont peur de prendre des risques. Concernant l'accouchement à domicile je dirais que c'est le gynécologue qui décide du risque et pas l'endocrinologue, en tout cas ici la sage-femme que tu veux employer ne se fiera qu'à un avis de gynéco. Si celui-ci estime qu'il faut l'avis d'un endocrinologue je pense que c'est difficile de trouver quelqu'un qui te prendra vite en consultation sachant que tu as déjà un suivi. Je n'en connais pas personnellement. "

Exactement trois jours après l'appel de Sarah qui a mis fin à notre partenariat, en sortant de la douche, quelque chose m'interpelle dans le miroir. Mes cheveux blonds, rendus plus sombres par le contact avec l'eau, laissent apparaître plusieurs dizaines de cheveux gris. Mes nouveaux fils d'argent ne me dérangent pas, mais me font mesurer l'impact psychologique que l'annonce de Sarah a eu sur moi. Parce que ça a beaucoup mouliné dans ma tête, ces derniers jours... Il a fallu débattre à nouveau avec Baba Papa qui n'était d'accord pour une naissance à la maison que si nous étions accompagné par une sage-femme. Mais impossible de trouver quelqu'un qui accepte de nous suivre, dorénavant si près du terme et à plus de deux heures de route (car Sarah était la plus proche géographiquement). Baba Papa a tout de même accepté qu'on tente l'aventure seuls, mais alors qu'on prévoyait de se reposer sur Sarah pour guider et assurer la sécurité de la naissance, il faut désormais employer les trois mois restant (et encore, si le bébé n'est pas trop pressé) à nous former alors qu'on a du travail en apiculture, un déménagement et des travaux de la maison à faire. Devant l'ampleur de la tâche, je me sens terrifiée et je perds toute confiance en moi.

Je me sens abandonée. L’endroit où j’accouche c’est notre choix à Baba Papa et moi, et ce choix on aimerait qu’il soit éclairé, sauf qu’on nous refuse l’information. On veut juste nous donner un « ressenti » et pas l’argumentaire scientifique. Je cherche désespérement quelqu'un sur qui m'appuyer. Je finis par laisser un message sur le forum de La Leche League ; je n'y trouve pas d'information scientifique non plus, mais au moins une compassion sincère de la part de plusieurs mères et des conseils de lecture. Ça me réchauffe un peu le coeur.

On parle de la situation avec mes beaux-parents. qui suggèrent de signer une décharge à Sarah. Pas bête. Je téléphone à la sage-femme, avec un peu d'espoir mais pas longtemps, puisqu'elle refuse fermement la proposition. Il n'y a pas moyen de la faire changer d'avis.

 

Septembre 2019 (M-2)

Je n'informe pas ma mère de ce qu'il s'est passé. Je préfère lui mentir et m'assurer un peu de paix pour les trois mois à venir, parce que je sais qu'elle serait complètement paniquée, et serait une difficulté supplémentaire à gérer. J'hésite à en parler à mon père. Ils ont beau être divorcés depuis mes 14 ans et avoir refait leur vie chacun de leur côté, mes parents sont encore beaucoup en contact, surtout pour ce genre d'histoires... Mais à ce moment-là j'ai besoin de me confier à un parent. C'est stupide, mais à ce moment-là j'ai besoin d'un peu plus d'égalité et d'équilibre entre ma famille et celle de Baba Papa :  pourquoi ne devrais-je compter que sur mes beaux-parents ?

Le père de Baba Papa a entendu dire qu'il y une sage-femme qui pratique l'accouchement à domicile basée à Amiens , à une heure de chez nous. Je suis très étonnée ; pourquoi ne l'ai-je pas trouvée avant ?? Mais ça ne me paraît pas impossible, et il faut tenter.  Nous rencontrons donc Isabelle Laoût qui nous annonce qu'elle ne fait pas d'AAD mais seulement de la préparation à la naissance. Ça ne me convient pas : faire deux heures de route toutes les deux semaines et lâcher 50 € à chaque séance,, à mes yeux ça ne vaut pas le coup... avec le prix d'une séance je peux acheter deux bouquins sur le sujet, bien plus clairs et exhaustif que les explications de la sage-femme !

L'échographie du 3e trimestre a lieu le 16 septembre. Baba Papa m'a adorablement badigeonnée d'huile d'abricot la veille au soir pour prévenir les vergetures, mais il se trouve que ça coupe les ultrasons... Donc le Dr Deswarte n'a rien pu voir. On profite du passage à l'hôpital pour visiter la salle de naissance "nature" et une salle classique. La salle nature ne fait pas beaucoup plus envie, avec son lino bleu noirci sous l'évier et le siège d'accouchement qui ressemble à un fauteuil médical. Un hamac qui ressemble plus à un treuil pour soulever les personnes âgées, un gros ballon comme dans les cours de gym, et c'est tout. Pas de matelas, pas de tapis ou s'allonger si besoin. La pièce est assez étroite. Pas de sas pour séparer de l'agitation du couloir. Pas de baignoire, ni de douche, ni même de toilettes. L'infirmière qui nous fait visiter nous précise qu'à sept centimètres de dilation, il faut passer dans la salle d'accouchement. La salle nature de l'hôpital d'Abbeville n'est pas une option pour moi.

Fin septembre, je reçois dans ma boîte aux lettres J'accouche bientôt, que faire de la douleur ? de Maïtié Trelaun auquel Baba Papa s'atèle. Je reçois aussi Intimes naissances, un ouvrage collectif très épais, avec une foule de témoignages sur la naissance de la maison, autant du point de vue des parents que des sages-femmes, et avec quelques articles de professionnels à la fin. Je le dévore. Chaque récit est différent ; je comprends qu'il n'y a pas un modèle de naissance, et que celle de mon enfant sera aussi particulière que toutes les autres.

Le 30 septembre, nous retournons à l'hôpital refaire l'échographie du 3e trimestre. Cette fois-ci l'échographie est très lisible et tout va bien.

 

 Octobre 2019 (M-1)

Octobre commence mal. Après mon grand-père paternel en début d'année, c'est mon grand-père maternel qui vient de décéder d'un streptocoque attrapé à l'hôpital où il était entré quelques mois plus tôt pour une crise de goutte. Pendant tout l'été je ne m'était pas autorisée à aller le voir pour éviter les microbes de l'hôpital dans mon état de grossesse. Je lui avais fait parvenir une lettre avant sa mort où je lui dévoilais le nom de mon enfant. Je suis très triste, mais pas bouleversée. Je sens les effets puissants de l'ocytocine sur moi et je traverse les funérailles presque avec légèreté. Je préfère ne garder que les supers souvenirs de mon papy et être forte pour les vivants. En l'occurence ma mamie qui est terriblement affectée du décès de son mari au point de faire des malaises au cimetière.

Le reste du mois d'octobre se passe entre révélations sur l'enfantement grâce à mes lectures et stress de ne pas avoir toutes les informations nécessaires. C'est aussi le moment du déménagement... À force d'attendre la fin de la saison apicole, le mois de septembre est passé trop vite pour trier et vider les trente ans d'accumulation de Pépère. Me voilà donc, naturellement, à 8 mois de grossesse à porter cartons et meubles.

 

Novembre 2019 

Ça y est, le mois de novembre arrive ! Je n'ai plus envie de lire mais plutôt le besoin de me vider la tête et digérer tout ce que j'ai appris sur la naissance. Je passe au moins deux heures par jour à jouer au démineur sur l'ordi, alors que c'est loin d'être mon habitude et mon jeu favori.

Nous commençons à préparer le lieu de la naissance. Ce sera dans la pièce du poêle, puisque la maison est une vraie passoire. Baba Papa y installe un hamac comme nous l'avons vu dans la salle nature de l'hôpital pour que je puisse m'y suspendre le jour J.

Le 9 novembre, dix jours avant le terme, nous demandons un carnet de santé à la mairie qui doit faire la demande auprès de la PMI de Poix de Picardie, comme cela est autorisé dans la loi. Quelques jours plus tard, j'écoute un message vocal d'Isabelle Gorlier, sage-femme à la PMI qui souhaite avoir des informations sur notre projet de naissance à la maison. J'apprends qu'elle a refusé la requête de la secrétaire de mairie. Isabelle Gorlier parvient à nous avoir sur le téléphone de Baba Papa et lui pose de nombreuses questions intrusives, sous prétexte qu'elle s'inquiète. Baba Papa répond, et moi je m'énerve de cette situation. Je lui demande de raccrocher, qu'il n'a pas à raconter notre vie à cette femme et qu'il lui demande si oui ou non ils vont nous donner un carnet de santé. Baba Papa n'ose pas raccrocher, il râle et se justifie auprès de la sage-femme ; il s'est fait avoir. Il a donné des informations à cette femme qui outrepasse largement son statut.  Au bout de dix minutes de cette conversation désagréable, nous lui demandons si elle nous empêcherait de réaliser notre projet ; ce à quoi elle répond par la négative. Mais nous voilà pris dans l'engrenage.

Deux jours plus tard (à huit jours du terme donc), c'est une assistante sociale de l'hôpital d'Abbeville qui me téléphone, alertée par la PMI. Mon interlocutrice est méprisante et son objectif est clairement de nous faire renoncer à notre projet en nous prenant pour des irresponsables. Elle me sonde sur mes connaissances en terme d'accouchement alors que ce n'est strictement pas son métier et qu'elle n'a aucune compétence médicale. Elle essaie de me piéger sur les démarches administratives et me dit qu'aucun médecin ne voudra signer l'attestation de naissance pour déclarer notre enfant à la mairie. Nous avions beau répondre à ses questions, son jugement était déjà établi et irreversible. Elle me dit aussi que tout le personnel médical est contre notre projet et qu'elle a contacté le Dr Deswarte. Je suis choquée et j'ai peur. Est-ce que les services sociaux vont venir chercher notre enfant à sa naissance parce qu'ils nous auront jugés irresonsables voire dangereux pour lui ? J'appelle le docteur Deswarte qui me confirme avoir eu un appel de la part des services sociaux et me répète ce qu'elle leur a dit : qu'elle était au courant de notre projet et ne l'approuvait pas mais qu'on en avait discuté et que c'était notre choix.

Enfin, le 15 novembre, à quatre jours du terme, Isabelle Gorlier nous contacte à nouveau alors que nous avions précisé au dernier appel ne pas vouloir de suites. Elle veut nous donner rendez-vous à la PMI le 18 novembre, soit la veille du terme (ou le lendemain du terme annoncé par l'hôpital).

Je suis très stressée par cette situation. Et comme si ça ne suffit pas, mon père s'y met aussi. Il m'envoie un mail où il écrit qu'il s'inquiète parce qu'il a lu des choses sur des accouchements avec déchirement anal. Super. Je ne lis même pas jusqu'à la fin, direction la corbeille. Il m'envoie aussi un sms pour dire que si je n'ai pas accouché dans les trois jours, il plante sa tente dans le jardin pour être là et nous sauver le bébé et moi. Baba Papa l'appelle pour lui demander d'arrêter de nous écrire ; mon père le menace au téléphone que si l'accouchement se passe mal, Baba Papa aura affaire à lui...

Et maintenant, avec tout ça, il faut accoucher.

Le 18 novembre, je n'en peux plus de toute cette pression. J'ai peur d'avoir des problèmes avec l'administration ou mon père si le bébé tarde trop. Alors dans l'après-midi, je nettoie les carreaux. Les premières contractions arrivent.

Publié dans #Journal intime, #Grossesse

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